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martes, 29 de abril de 2014

Lyon ou Paris? Voici la question!

Tirée du journal "Le traît d´Union"

Peut-on préférer visiter Lyon à Paris ?

Vue de la ville depuis Notre Dame de Fourvière




29 avril 2014 (Le Monde) : Le média américain trouve tout d’abord la basilique Notre-Dame de Fourvière plus jolie que Notre-Dame de Paris. Il apprécie également l’offre musicale de la préfecture du Rhône, et particulièrement les nuits de Fourvière, qui proposent notamment pour son édition 2014 Phoenix et les Pixies, et qui se tient dans un site gallo-romain.

Pour CNN, Lyon dépasse également Paris par son offre gastronomique, sa culture cinématographique, son passé romain, ses parcs et ses rivières. Mais le premier argument avancé par le site est le vin. « A la différence de Paris — qui boit à petits coups quoi que ce soit de fruité posé devant lui, mais ne produit rien — Lyon apporte une bouteille à la fête. Beaucoup de bouteilles même. Lyon est la porte d´entrée de la région viticole du Beaujolais, qui se déploie immédiatement au nord-ouest », fait valoir l’auteur. Et c´est là que l´on réalise que l´article a été écrit par un Américain.

L’argument est doublement contestable : il y a bien des vignes parisiennes, à Montmartre, où quelques vignerons perdurent ; et citer le Beaujolais pour arguer de l´intérêt viticole d´une région est risqué tant ce cru est loin de faire l´unanimité…

miércoles, 23 de abril de 2014

La Madelaine ( Marcel Proust)


II y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n'était pas le théâtre et le drame de mon coucher, n'existait plus pour moi, quand un jour d'hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j'avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d'abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d'une coquille de Saint-Jacques.
 Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d'un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine. Mais à l'instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d'extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m'avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. II m'avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu'opère l'amour, en me remplissant d'une essence précieuse : ou plutôt cette essence n'était pas en moi, elle était moi. J'avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D'où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu'elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu'elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D'où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l'appréhender ? Je bois une seconde gorgée où je ne trouve rien de plus que dans la première, une troisième qui m'apporte un peu moins que la seconde. II est temps que je m'arrête, la vertu du breuvage semble diminuer. Il est clair que la vérité que je cherche n'est pas en lui, mais en moi. [...] Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. C'est à lui de trouver la vérité. Mais comment ? Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher ? pas seulement : créer. II est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière. Et je recommence à me demander quel pouvait être cet état inconnu, qui n'apportait aucune preuve logique, mais l'évidence, de sa félicité, de sa réalité devant laquelle les autres s'évanouissaient. Je veux essayer de le faire réapparaître. Je rétrograde par la pensée au moment où je pris la première cuillerée de thé. Je retrouve le même état, sans une clarté nouvelle. Je demande à mon esprit un effort de plus, de ramener encore une fois la sensation qui s'enfuit. Et, pour que rien ne brise l'élan dont il va tâcher de la ressaisir, j'écarte tout obstacle, toute idée étrangère, j'abrite mes oreilles et mon attention contre les bruits de la chambre voisine. Mais sentant mon esprit qui se fatigue sans réussir, je le force au contraire à prendre cette distraction que je lui refusais, à penser à autre chose, à se refaire avant une tentative suprême. Puis une deuxième fois, je fais le vide devant lui, je remets en face de lui la saveur encore récente de cette première gorgée et je sens tressaillir en moi quelque chose qui se déplace, voudrait s'élever, quelque chose qu'on aurait désancré, à une grande profondeur ; je ne sais ce que c'est, mais cela monte lentement ; j'éprouve la résistance et j'entends la rumeur des distances traversées. Certes, ce qui palpite ainsi au fond de moi, ce doit être l'image, le souvenir visuel, qui, lié à cette saveur, tente de la suivre jusqu'à moi. Mais il se débat trop loin, trop confusément ; à peine si je perçois le reflet neutre où se confond l'insaisissable tourbillon des couleurs remuées ; mais je ne peux distinguer la forme, lui demander, comme au seul interprète possible, de me traduire le témoignage de sa contemporaine, de son inséparable compagne, la saveur, lui demander de m'apprendre de quelle circonstance particulière, de quelle époque du passé il s'agit. Arrivera-t-il jusqu'à la surface de ma claire conscience, ce souvenir, l'instant ancien que l'attraction d'un instant identique est venue de si loin solliciter, émouvoir, soulever tout au fond de moi ? Je ne sais. Maintenant je ne sens plus rien, il est arrêté, redescendu peut-être ; qui sait s'il remontera jamais de sa nuit ? Dix fois il me faut recommencer, me pencher vers lui. Et chaque fois la lâcheté qui nous détourne de toute tâche difficile, de toute oeuvre importante, m'a conseillé de laisser cela, de boire mon thé en pensant simplement à mes ennuis d'aujourd'hui, à mes désirs de demain qui se laissent remâcher sans peine. Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. 


Marcel ProustÀ la recherche du temps perdu. Du côté de chez Swann, 1913. 




viernes, 18 de abril de 2014

Mort de Gabriel Garcia Marquez, légende de la littérature

Extrait du journal Le Monde.

18 avril 2014 (Le Monde) : En 1999, la nouvelle s´était répandue qu´un cancer lymphatique serait sur le point de l´abattre, plongeant déjà ses lecteurs et admirateurs dans l´inquiétude. Tous les journaux de la planète rédigèrent alors sa nécrologie à la hâte, bientôt remballée dans les tiroirs. Double chance, pour lui et pour tous, car cela permit à Gerald Martin, britannique et professeur de littérature, de publier une biographie exhaustive, Gabriel Garcia Marquez, une vie (Grasset, 2009, édition originale en anglais chez Bloomsbury, 2008). Rétabli, mais victime d´une mémoire quelque peu chancelante, l´auteur de Cent ans de solitude avait disparu de toute vie publique ces dernières années.

Aîné de onze enfants, Gabriel José de la Concordia Garcia Marquez est né le 6 mars 1927, à Aracataca, un village perdu entre les marigots et les plaines poussiéreuses de la côte caraïbe colombienne. Son père y est télégraphiste. Dans l´œuvre de Gabo, Aracataca deviendra Macondo, un endroit mythique mais réel, à la différence du Yoknapatawpha County de William Faulkner ou de la ville fictive de Santa Maria de Juan Carlos Onetti. L´espagnol sud-américain a fait de « macondiano » un adjectif pour décrire l´irrationnel du quotidien sous ces latitudes. Gerald Martin explique l´importance qu´eut pour le futur écrivain son village et en particulier sa maison : « pleine de monde - grands-parents, hôtes de passage, serviteurs, indiens -, mais également pleine de fantômes » (celui de sa mère absente en particulier).

INFLUENCE LIBÉRALE

Juste après la naissance de Gabriel, son père décide de devenir pharmacien, en autodidacte. En 1929, il quitte Aracataca en compagnie de sa femme. Le garçon sera élevé par ses grands-parents, dans une maison transformée aujourd´hui en musée. Sa formation intellectuelle ainsi qu´un certain sens de la démesure lui viennent du colonel Marquez, son grand-père libre-penseur qui, pour meubler l´ennui d´un temps immobile, lui ressassait inlassablement ses souvenirs de la guerre des Mille Jours : une dévastatrice guerre civile qui, entre 1899 et 1902 opposa le camp « libéral » (dont il faisait partie) et celui des « conservateurs », et se solda par la victoire de ces derniers.

A ce « Papalelo », comme il le surnomme, le futur écrivain doit aussi les fondements de sa conscience politique et sociale. Le colonel faisait en effet partie des personnalités colombiennes qui s´étaient élevées contre le « massacre des bananeraies » : en décembre 1928, des centaines d´ouvriers agricoles en grève (1 500 selon certaines sources) avaient été tués par l´armée colombienne, sous la pression des Etats-Unis qui menaçaient d´envahir le pays avec leur marines si le gouvernement n´agissait pas pour protéger les intérêts de la compagnie américaine United Fruit. Dans Cent ans de solitude, son œuvre majeure, l´écrivain retrace sous forme de fiction cet épisode sanglant.

A huit ans, il part rejoindre ses parents qui l´enverront en pension chez les jésuites dans la ville de Baranquilla, puis à Bogota. Il publie ses premiers écrits dans la revue du collège. Baccalauréat en 1946, études de droit- vite abandonnées - et premières collaborations dans la presse : c´est en tant que journaliste que Garcia Marquez entre dans la vie publique. Lectures classiques : Kafka, Joyce, Virginia Woolf, Faulkner, Hemingway… Mais les influences ne jouent que sur la forme. Le fond, ce sera l´impalpable, le culte du surnaturel, des fantômes et des prémonitions transmis par sa grand- mère galicienne quand elle se levait la nuit pour lui raconter les histoires les plus extraordinaires de revenants, sorcières et nécromanciennes. Ainsi Marquez s´insère-t-il naturellement dans un courant littéraire hispanique et latino-américain incarné par Alvaro Cunqueiro, Miguel Angel Asturias et Alejo Carpentier: le réalisme magique ou le réel merveilleux.

En 1955, le jeune journaliste découvre la vérité sur la catastrophe du Caldas : ce destroyer de la marine colombienne, le pont surchargé de marchandises de contrebande, avait perdu huit hommes d´équipage dans la mer des Caraïbes lorsque les câbles de cette cargaison illicite avaient lâché. Les officiers avaient prétendu avoir affronté une terrible tempête. Après cent-vingt heures d´entretiens avec le seul rescapé, Garcia Marquez publie une série de quatorze articles, rédigés à la première personne et signés par le marin, qui seront repris en 1970 dans un livre sous le titre Journal d´un naufragé. Les lecteurs de EL Espectador s´arrachent le récit. Craignant les représailles du régime militaire alors au pouvoir, la direction du quotidien envoie Garcia Marquez en Europe.

FLN ET RIDEAU DE FER

Il arrive à Paris en pleine guerre d´Algérie, fréquente les milieux du FLN et, pour délit de faciès, s´expose ainsi aux « ratonnades » alors pratiquées par la police française. Jeune homme de gauche, proche des communistes, il effectue des voyages dans les pays de l´Est. Malgré ses préférences politiques, ses visites lui laissent une impression plutôt sinistre, consignée dans 90 jours derrière le rideau de fer (1959). Lorsque le dictateur Rojas Pinilla interdit El Espectador, le journaliste Garcia Marquez se retrouve sans travail. Il écrit et survit, en attendant la gloire et l´argent.

Sa compagne d´alors fait des ménages, lui ramasse papiers, journaux et bouteilles vides pour les vendre. Ces années impécunieuses trouveront leur écho, en 1961, dans Pas de lettre pour le colonel. L´année suivante paraîtront le roman La Mauvaise heure et Les Funérailles de la grande Mémé, un recueil de huit nouvelles : sortes de « moyens métrages » et, en quelque sorte, d´esquisses préfigurant ce que sera, cinq ans plus tard, Cent ans de solitude.

Entretemps, Garcia Marquez est revenu en Amérique Latine. Il y a épousé, en 1958, son amour d´adolescence Mercedes Barcha. Jamais ils ne se quitteront.

Deux fils sont nés de cette union : Rodrigo qui, après des études d´histoire médiévale à Harvard, deviendra réalisateur de cinéma et Gonzalo, qui sera enseignant à Paris. En 1961, Garcia Marquez, qui travaille pour l´agence de presse cubaine Prensa Latina, effectue en journaliste et en ami du nouveau régime castriste une première visite à Cuba. Puis il se rend à New York en attente d´un visa pour le Canada, où l´agence l´a chargé d´ouvrir un bureau. Mais l´affaire tarde, ne se réalise pas et le journaliste écrivain, qui s´ennuie, embarque en bus sa petite famille pour le Mexique, le pays où il passera la plus grande partie de sa vie.

LE CHOC DE « CENT ANS DE SOLITUDE »

C´est quelques années plus tard qu´il va, d´un seul coup, accéder définitivement à la célébrité mondiale. Dès sa publication en 1967, à Buenos Aires, l´engouement rencontré par Cent ans de solitude (publié en français par Le Seuil en 1968) est extraordinaire. Tous les lecteurs d´Amérique Latine connaissent de mémoire sa première phrase : « Bien des années plus tard, face au peloton d´exécution, le colonel Aureliano Buendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l´emmena faire connaissance avec la glace. « A la fois épopée familiale, roman politique et récit merveilleux, c´est « le plus grand roman écrit en langue espagnole depuis Don Quichotte », selon le poète chilien Pablo Neruda. L´écrivain y déploie, sans une seconde d´enlisement ni de distraction, son langage puissant, à la fois exubérant et parfaitement maîtrisé.

Depuis la fondation du village fictif de Macondo, se déploie, sur six générations, l´histoire de la famille Buendia, une sorte de dynastie dont le destin est lié à la chronique mythologique du continent. Toute l´Amérique latine se reconnaîtra bientôt dans cette saga héroïque et baroque. Cinq ans après sa sortie, Cent ans de solitude aura déjà été publié dans vingt-trois pays et se sera vendu à plus d´un million d´exemplaires rien qu´en langue espagnole. On sait que Garcia Marquez fut sincèrement abasourdi par le succès de ce livre. Il l´attribua au fait qu´il était d´une lecture facile, avec son enchaînement de péripéties fantastiques. Toujours est-il que son impact contribua à la notoriété internationale des autres écrivains du « boom latino-américain », de Juan Rulfo à Mario Vargas Llosa, en passant par Jorge Luis Borges, Julio Cortazar et Carlos Fuentes.

LA « GUERRE DE L´INFORMATION »

Garcia Marquez, meurtri et révolté par la dictature installée au Chili depuis le coup d´Etat du général Pinochet en septembre 1973, se refuse, pour un temps, à écrire de nouveaux romans et préfère s´engager dans ce qu´il appelle « la guerre de l´information ». Il contribue dans son pays à la création d´une revue indépendante, Alternativas, fustige le capitalisme et l´impérialisme, prend la défense du tiers-monde et soutient publiquement, sans états d´âme apparents, le régime de Fidel Castro.

En 1982, les jurés de Stockholm lui décernent le prix Nobel. Les rues de son village se couvrent de banderoles: « Aracataca, capitale mondiale de la littérature ». Il assistera à la cérémonie vêtu du « liqui-liqui », le costume blanc traditionnel de la côte caraïbe, au lieu du smoking protocolaire. Son discours de réception est un fougueux plaidoyer pour l´Amérique latine dont il décrit la « solitude » face « à l´oppression, au pillage et à l´abandon », alors même que les dictatures s´y multiplient.

Son évocation de « cette patrie immense d´hommes hallucinés et de femmes historiques, dont l´entêtement sans fin se confond avec la légende » - résonne dans tout le continent. Après le Nobel, Garcia Marquez tourne le dos à Macondo et à l´univers prodigieux de son enfance. Désormais, sa production se situera, pour l´essentiel, à mi chemin entre le journalisme, l´histoire et le roman populaire.

« LES ROMANCIERS NE SONT PAS DES INTELLECTUELS »

Plus tard, ni L´Amour au temps du choléra (1985), ni Le Général dans son labyrinthe (1989), ni sa dernière fiction Mémoires de mes putains tristes (2004), ne remporteront le succès des œuvres précédentes. Qu´importe. Gabo est devenu une référence. On le sollicite - notamment à plusieurs reprises comme médiateur lors des pourparlers de paix engagés avec la guérilla colombienne -, on le consulte sur tous les sujets. Garcia Marquez n´est pas dupe. « Je suis un romancier, disait-il, et nous, les romanciers, ne sommes pas des intellectuels, mais des sentimentaux, des émotionnels. Il nous arrive à nous, Latins, un grand malheur. Dans nos pays, nous sommes devenus en quelque sorte la conscience de notre société. Et voyez les désastres que nous provoquons. Ceci n´arrive pas aux Etats-Unis, et c´est une chance. Je n´imagine pas une rencontre au cours de laquelle Dante parlerait d´économie de marché. »

Au delà de la politique et de la mythologie, Garcia Marquez n´aura jamais cessé d´élaborer un immense discours sur la mort et sur la solitude, que ce soit dans Les Funérailles de la Grande Mémé, L´Automne du patriarche, Chronique d´une mort annoncée et, bien entendu, Cent ans de solitude qui porte sur la fin d´une dynastie et d´une civilisation. « Je pense évidemment à la mort », avait-il déclaré. « Mais peu, aussi peu que possible. Pour en avoir moins peur, j´ai appris à vivre avec une idée très simple, très peu philosophique : brusquement tout s´arrête et c´est le noir absolu. La mémoire est abolie. Ce qui me soulage et m´attriste, car il s´agira là de la première expérience que je ne pourrai pas raconter. »

Ramon Chao, avec Florence Noiville et Marie Delcas




jueves, 17 de abril de 2014

C´est Mozart qu´on assassine. (Antoine de Saint -Exupéry)

Un enfant qui ne réalise pas son potentiel c’est Mozart qu’on assassine. Tout enfant qui ne devient pas ce qu’il  peut être, c’est Mozart qu’on assassine.
Je m’assis en face d’un couple. Entre l’homme et la femme, l’enfant, tant bien que mal, avait fait son creux, et il dormait. Mais il se retourna dans le sommeil, et son visage m’apparut sous la veilleuse. Ah ! Quel adorable visage ! Il était né de ce couple-là une sorte de fruit doré. Il était né de ces lourdes hardes cette réussite de charme et de grâce.
 Je me penchai sur ce front lisse, sur cette douce moue des lèvres, et je me dis : voici un visage de musicien, voici Mozart enfant, voici une belle promesse de vie. Les petits princes des légendes n’étaient point différents de lui : protégé, entouré, cultivé, que ne saurait-il devenir ! Quand il naît par mutation dans les jardins une rose nouvelle, voilà tous les jardiniers qui s’émeuvent. On isole la rose, on cultive la rose, on la favorise. Mais il n’est point de jardinier pour les hommes. Mozart enfant sera marqué comme les autres par la machine à emboutir. Mozart fera ses plus hautes joies de musique pourrie, dans la puanteur des cafés concerts. Mozart est condamné.
 Et je regagnai mon wagon. Je me disais : ces gens ne souffrent guère de leur sort. Et ce n’est point la charité ici qui me tourmente. Il ne s’agit point de s’attendrir sur une plaie éternellement rouverte. Ceux qui la portent ne la sentent pas. C’est quelque chose comme l’espèce humaine et non l’individu qui est blessé ici, qui est lésé. Je ne crois guère à la pitié. Ce qui me tourmente, c’est le point de vue du jardinier. Ce qui me tourmente, ce n’est point cette misère, dans laquelle, après tout, on s’installe aussi bien que dans la paresse. .. Ce qui me tourmente, les soupes populaires ne le guérissent point. Ce qui me tourmente, ce ne sont ni ces creux, ni ces bosses, ni cette laideur. C’est un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassiné.

Seul l’Esprit, s’il souffle sur la glaise, peut créer l’Homme. Antoine de Saint Exupéry. Terre des hommes